Plan de relance : la rénovation énergétique des bâtiments publics est-elle sur la bonne voie?
Ce 14 décembre 2020, le Gouvernement se félicite du succès du résultat de l’appel à projets lancé en vue de la rénovation énergétique des bâtiments publics 1 . Les medias reproduisent, comme souvent, les informations judicieusement transmises par les cabinets ministériels 2 . Mais il manque, dans ces informations, des éléments sur lesquels l’Etat se garde bien de communiquer.
Pressé de répondre aux attentes des entreprises de travaux et industriels du bâtiment qui attendaient la relance au travers de la commande publique, l’Etat annonçait dès le 20 octobre avoir reçu 4.000 projets, pour une valeur de 7,8 Mds€ 3 . Comment peut-imaginer qu’en moins de deux mois, autant de projets si complexes aient pu voir le jour, prêts à être financés ?
En réalité, les majors et industriels du BTP avaient dès le printemps 2020 formulé leurs propositions auprès des services de l’Etat, qui les ont reprises dans ce volet du Plan de relance 4 . Les projets émanent donc d’ensembliers qui proposent au client un projet « clés en main », sans que ni le programme de l’opération, ni les différentes solutions possibles aient fait l’objet de discussions. L’Etat se pose en « acheteur » comme il a pu le faire dans la décennie précédente, en recourant aux processus similaires aux PPP (Partenariat-Public-Privé) qui pourtant ont montré qu’il servaient plutôt les intérêts du fournisseur avant celui du client 5 . Et la part réservée aux PME (10% des futurs marchés) ne laisse aucun doute sur les facilités que l’Etat met en place en faveur des majors du BTP.
De fait, ces ensembliers auront établi leurs propositions en fonction de leur propre intérêt, que l’on imagine peu convergeant avec celui des maîtres d’ouvrage. Or dans le temps imparti, l’Etat n’a ni le temps ni les moyens d’évaluer sérieusement le niveau de qualité de ces propositions. D’autant que l’opération est conduite par la Direction de l’Immobilier de l’Etat (anciennement « France Domaine » de la direction générale des finances publiques -DGFiP-), dépendant directement de Bercy, services dans lesquels on maîtrise plus les questions financières que les aspects techniques et patrimoniaux des bâtiments.
Pour les majors et industriels du BTP, qui en ont déjà demandé pour 7,8 milliards, il est plus facile de convaincre l’administration centrale que d’affronter une multitude d’élus. Les collectivités territoriales hériteront-elles d’une part consistante de la manne? Le temps leur est compté On imagine que le processus classique de maîtrise d’ouvrage publique qui consiste à enchaîner les phases de programmation, d’études, d’appels d’offres et de travaux n’a pas été retenu, au motif de l’urgence. Pourtant, c’est bien ce processus par phases et sous contrôle de prestataires indépendants des marchés de travaux qui a engendré une qualité architecturale des bâtiments
publics au XXème siècle.
Or ces rénovations énergétiques peuvent apporter le meilleur comme le pire : elles sont un réel défi envers les bâtiments reconnus comme ayant une valeur architecturale, et en même temps, une occasion de requalifier ceux qui, précisément, ont été victimes d’une politique de l’urgence lors de la Reconstruction 6 .
En effet, une opération de réhabilitation est, contrairement aux lieux communs, plus complexe qu’une construction neuve : les locaux sont occupés, les usagers sont partie prenante, les systèmes constructifs sont multiples, les qualités très disparates et les architectures diverses rendent les solutions plus complexes et moins universelles.
Une rénovation énergétique est encore plus difficile : elle nécessite une ingénierie très qualifiée, elle implique des modifications dans l’architecture des bâtiments, et nécessite des arbitrages financiers complexes puisqu’il s’agit de trouver un équilibre entre le coût d’investissement et les économies engendrées par la rénovation.
Le fait que le marché de la réhabilitation soit peu réglementé en France ouvre la porte à toutes les dérives possibles. Pour se protéger de telles dérives, l’Etat aurait pu solliciter les administrations spécialisées dans l’architecture et le patrimoine ou avoir recours aux professionnels spécifiquement formés pour l’assister face aux ensembliers : les « Assistants à Maîtrise d’Ouvrage », qu’il avait lui-même mis en place dans la Loi MOP 7 . Mais le groupe de travail mis en place cet été, piloté par les industriels du bâtiment, l’en aura sans doute dissuadé.
Le processus mis en place par l’Etat aura passé à la trappe les architectes, les ingénieries indépendantes et autres spécialistes du patrimoine. En l’absence d’une maîtrise d’œuvre ou d’une assistance à maîtrise d’ouvrage indépendantes des marchés de travaux, on découvrira à postériori des opérations qui auront cherché à maximiser les aides publiques au détriment de la qualité obtenue, et d’autres qui auront dévalorisé la qualité architecturale des bâtiments qui en étaient dotés.
Depuis la mise en place du Plan de relance, aucune voix ne s’est élevée sur ce sujet, ni du côté des administrations censées protéger notre patrimoine telles que le Ministère de la Culture que de celui des structures professionnelles en charge de l’architecture telle que l’Ordre des architectes.
Pourtant, l’architecture est toujours en France « d’intérêt public » 8 . Il est sérieusement à craindre que ces nouveaux chantiers de rénovation énergétique des
bâtiments de l’Etat ne soient pas à la hauteur des ambitions, et qu’ils constituent un gigantesque gâchis d’argent public.
Philippe Alluin
Ingénieur-architecte, fondateur du Réseau d’ingénieries pour l’architecture et le développement durable ReeZOME
1 https://www.gouvernement.fr/4214-projets-de-renovation-energetique-des-batiments-publics-de-l-etat
2 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/14/plus-de-4-200-batiments-publics-d-etat-renoves-d-ici-a-2023_6063323_3234.html
3 https://immobilier-etat.gouv.fr/actualites/succes-historique-pour-appels-projets-renovation-energetique-batiments-publics-letat
4 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/02/quand-saint-gobain-oriente-la-politique-de-renovation-energetique_6050674_3234.html
5 https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/12/trop-couteux-les-partenariats-public-prive-n-ont-plus-la-cote_5269553_3224.html
6 https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/13/pour-une-politique-patrimoniale-coherente-avec-le-contexte-d-urgence-climatique_6046030_3232.html
7 Loi n o 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP, article 2
8 Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture