La pose de répartiteurs de chauffage en copropriété est-elle une solution pour diminuer la facture d’énergie ?
Une tribune signée Philippe Alluin, ingénieur-architecte, fondateur de ReeZOME, réseau d’ingénieries pour l’architecture et le développement durable.
La conjoncture actuelle nourrit, à raison, de sérieuses inquiétudes au sein des copropriétés: beaucoup d’immeubles sont énergivores, et l’augmentation du prix de l’énergie s’ajoute aux récentes mesures règlementaires bloquant les loyers des logements les plus consommateurs. En copropriété, le chauffage est souvent collectif, notamment dans les immeubles construits pendant les 30 glorieuses – précisément ceux qui sont les plus énergivores. Nombre de copropriétaires, bailleurs ou occupants, s’interrogent sur les solutions qui permettraient de diminuer leur facture d’énergie. La pose de répartiteurs de chauffage est-elle une solution efficace?
De quoi s’agit-il ?
L’idée génératrice est que le copropriétaire ne paie que ce qu’il consomme : en abaissant la température chez soi, on réduirait la facture. Les répartiteurs de chauffage sont installés sur les radiateurs de l’appartement. Ils estiment la consommation de ce radiateur à l’aide de prises de température sur ce radiateur et dans la pièce, mesures associées à un algorithme fonctionnant avec des hypothèses de calcul. En théorie l’estimation renvoyée par un répartiteur peut être correcte, mais en réalité la multiplicité des cas rend très aléatoire les résultats, conduisant à de nombreuses erreurs d’estimation. De plus, ce dispositif néglige le chauffage effectué par les colonnes elles-mêmes, souvent apparentes, ou celui produit par des appareils sur lesquels la mesure n’est pas possible (radiateurs à ailettes par exemple). On ajoute que cette « individualisation » n’est que partielle, car elle ne porte que sur 70% des dépenses d’énergie, excluant les dépenses de maintenance, d’entretien et de dépannage du chauffage. Enfin, pour que cela fonctionne, il est nécessaire d’installer des robinets thermostatiques sur chaque radiateur, et des pompes à débit variable sur l’installation, ce qui est loin d’être le cas général.
Pourquoi l’obligation règlementaire n’est-elle pas respectée ?
En copropriété, la disparité des appartements au sein d’un même immeuble due à leur position dans l’immeuble, aux apports solaires et aux déperditions de leurs parois, peuvent conduire à des écarts de plus de 50% de consommation pour une même température d’ambiance. Le dysfonctionnement très fréquent des installations de chauffage ajoute à ces disparités. Le répartiteur va donc renvoyer des consommations différentes pour une même température dans l’appartement, source de contestation et de conflit dans la copropriété. Les sociétés de comptage sont rémunérées pour ce service, ce qui constitue une charge supplémentaire. Le résultat est que cette obligation n’est pas suivie d’effet, de nombreux contentieux ayant été entre temps ouverts.
Néanmoins l’individualisation des frais de chauffage est-elle possible ?
Pour que cela fonctionne correctement il faut tout d’abord remettre à niveau l’installation de chauffage de l’immeuble et des appartements, ensuite procéder à la rénovation énergétique de l’immeuble pour limiter les consommations et niveler les disparités au sein de l’immeuble, et enfin installer des compteurs d’énergie, seuls instruments capables de renvoyer de réelles consommations. Il s’agit de travaux collectifs, qui doivent être engagés par l’ensemble des copropriétaires. Mais la notion d’intérêt général passe souvent, en France, derrière l’intérêt personnel. Il est donc difficile d’engager les copropriétaires dans cette voie, pourtant inéluctable maintenant. D’autant que la copropriété reste avant tout un ensemble partagé, dans lequel les notions de vie collective et de sens commun sont incontournables. Aider les copropriétaires à progresser dans ce sens est plus efficace que de les inciter à s’isoler dans leurs « parties privatives ».
Dans les copropriétés qui se sont engagées dans leur rénovation énergétique globale, la diminution des consommations constatée est de 40 à 60%. Ils s’en félicitent aujourd’hui. Une fois ces travaux réalisés, chacun peut assumer son propre choix : dans un immeuble correctement isolé, où les disparités ont été gommées, et dotés d’installations de chauffage collectif performantes, celui qui souhaite une température de 21°C doit pouvoir l’assumer, en payant plus cher que celui qui choisit 19°C. Les compteurs d’énergie sont alors incontestables et remplissent parfaitement leur mission.
L’individualisation est alors très bien vécue et acceptée, le plus important et le plus efficace aura été d’avoir réduit drastiquement les consommations.
La version originale de cet article a été publiée sur Le Monde de l’Energie.