Doit-on aider les copropriétés non éligibles au bouclier tarifaire ?
Une tribune signée Philippe Alluin, ingénieur-architecte, fondateur de ReeZOME, réseau d’ingénieries pour l’architecture et le développement durable.
Le bouclier tarifaire mis en place l’an dernier permettait de protéger les copropriétés chauffées au gaz, ce qui a atténué leur choc énergétique pour l’hiver dernier. Les dispositions actuellement en vigueur pour l’hiver à venir ne s’applique qu’aux copropriétés chauffées au gaz qui consomment moins de 150 MWh/an. Pour une étiquette énergétique C, cette consommation correspond à un immeuble de 20 logements, si l’étiquette est F cela correspond à 10 logements. A ce jour donc, seules ces petites copropriétés bénéficient du bouclier tarifaire.
Les copropriétés plus importantes, qui constituent la grande majorité des immeubles énergivores, en sont pour l’instant encore exclues. Jusqu’ici, leur grande taille leur permettait de bénéficier de tarifs résultant d’achats sur les marchés. Les plus performantes achetaient leur gaz à 4 centimes par kilowattheure, soit moitié prix du « barème règlementé » en vigueur pour les particuliers. Ce qui était un atout lors des années précédentes est devenu un sérieux handicap : le coût du gaz sur les marchés étant aujourd’hui autour de 18 centimes, leur facture s’envole. Et le choc est d’autant plus rude que dans le monde de la copropriété, personne ne l’avait vu venir. Pour les copropriétés recourant à d’autres énergies pour leur chauffage collectif (électricité, fuel etc…), le problème est encore plus grave.
Ces grandes copropriétés ont été pour l’essentiel construites pendant les 30 glorieuses, elles sont donc sérieusement énergivores. Pour les copropriétés qui ont engagé leur rénovation énergétique, le choc est moins violent, mais elles sont peu nombreuses. Pour la quasi-totalité d’entre elles, la facture énergétique devient aujourd’hui intolérable.
La situation pourrait rapidement conduire à multiplier les cas de copropriétés en cessation de paiement. Or le redressement d’une « copropriété dégradée », telle qu’elle est ainsi dénommée par l’ANAH, coûte très cher à la collectivité. Il est donc indispensable et urgent de mettre en place un dispositif d’accompagnement.
Afin d’accélérer la transition énergétique, les parlementaires ont proposé ces jours-ci d’augmenter l’aide Ma Prime Rénov. Ce n’est pas la bonne solution, car le dispositif actuel est déjà très important : les aides financières en vigueur pour une rénovation énergétique globale allègent sérieusement le reste à charge des copropriétaires (jusqu’à 50%), finançable par le fameux prêt à taux 0, ce qui étale la dépense sur 15 ans. Paradoxalement, l’augmentation du coût de l’énergie réduit considérablement le retour d’investissement : le reste à charge peut être aujourd’hui amorti en moins de 10 ans. Augmenter encore les aides n’aurait pas de réel effet, et surtout ne règlerait pas le problème actuel de la facture énergétique.
Pour éviter la situation catastrophique dans lesquelles les copropriétés énergivores vont se trouver dans les mois qui viennent, il faut immédiatement élargir le bouclier tarifaire à ces copropriétés. Mais pour que ce « quoi qu’il en coûte » ne soit pas un puits sans fin, et que cette aide soit en réalité un investissement pour l’avenir, il faut la conditionner à la décision d’engagement d’un programme de rénovation énergétique globale, décision prise en assemblée générale, et rendant irréversible le processus de rénovation.
Nul doute que cet argument de taille saura décider les copropriétaires à voter une telle décision, au cours d’une assemblée générale extraordinaire qui peut être organisée dans des délais très courts.
Le bouclier tarifaire est une réelle occasion d’engager la massification tant attendue en copropriété, tout en amortissant le choc énergétique pour les copropriétaires.
La version originale de cet article a été publiée sur Le Monde de l’Energie.